37. Gabès suffoque !

Loin du jargon professionnel et du style d’écriture dont ma plume a été conditionnée durant des mois de travail, je voudrais m’exprimer à propos d’une expérience âpre qui m’a énormément marquée. 
Janvier 2020 : J’ai été à Gabès, capitale du Golfe de Gabès en Tunisie, en mission pour prise en charge de la coordination de tout ce qui se rapporte à la communication autour du «Forum de l’économie bleue». 
©Gabes Labes 

C’est un forum qui œuvre à rassembler plusieurs organisations non-gouvernementales, des acteur-ice-s de la société civile, des artisan-e-s, des volontaires tous et toutes étant Tunisien-ne-s etc, et ce dans le but de prendre conscience des problèmes qui menacent les différents écosystèmes et la biodiversité marine. 
Forum de l'économie bleue - Gabès 2020 

Cette visite m’a heurtée au plus profond de mon être et de mes sentiments. Comme vous le savez déjà (ou pas), l’usine Industries Chimiques Maghrébines (ICM) constituée de plusieurs entités industrielles de production de l’Acide Phosphorique Marchand de grade a été installée à Gabès en 1972. Actuellement, la Zone Industrielle de Ghannouch à Gabès abrite la plus grande plateforme de production du Groupement Chimique Tunisien (GCT). 
©Gabes Labes

Depuis ce temps, les habitants n’arrêtent pas de vivre un enfer quotidien. Tout le monde en souffre: les nouveau-nés, les femmes enceintes, les enfants, les jeunes adultes et les personnes âgées. Les médias nationaux en parlent, les politiciens se sont bien mis sur leurs trente-et-un, ont visité la ville et ont constaté l’ampleur de la situation désastreuse de notre plus belle Oasis méditerranéenne amoindrie par la noirceur du phosphogypse. 
©Tout Va Bien Lella?! 

Tout ce qu’ils ont fait a été de poser devant les caméras des journalistes et parler pour répondre… je veux dire pour bafouiller aux questions des journalistes. 
Beaucoup d’œuvres cinématographiques ont été réalisés notamment « Tout Va Bien Lella ?! » de Rabeb Mbarki, la jeune talentueuse réalisatrice Tunisienne, « El Khanga » de Salah Jday, l’acteur, producteur et réalisateur Tunisien connu spécialement pour ses apparitions dans les travaux de télévisions engagés. Ces chefs d’œuvre ont été projetés lors du forum afin de provoquer des discussions autour des différentes problématiques de tous types de pollution en Tunisie d’une manière générale et à Gabès plus précisément. 
©Tout Va Bien Lella?!

Ces projections ont aussi été un moyen pour mettre le public devant la laideur des actes des personnes responsables qui ont causé cette catastrophe et de ressentir la détresse des pêcheurs, qui, en sanglots, chantaient les louanges de la mer tuée par les déchets industriels. 
©WWF / Twilight 

On peut facilement être touchés par les images et avoir de l’empathie pour les habitants mais il faut y aller afin de savoir ce que c’est réellement de vivre au quotidien une souffrance pareille. Mon expérience a été de passer 96 heures à Gabès, à quelques mètres du groupe chimique Tunisien. 
La foire où je devais effectuer ma mission et l’hôtel où j’ai logé étaient exactement situés à 3000 mètres des usines. Comment puis-je décrire ce que mon corps a subi durant ces quatre jours ? 
Une fois à l’extérieur, l’odeur était suffocante, une bouffée d’acide ressemblant à des centaines de couteaux aiguisés mutilant ma peau. Une brise qui attaque mes organes respiratoires à chaque inspiration. L’eau jaunâtre sentait fort et son passage sur la peau était d’une agressivité indescriptible. Je sentais des milliers de micro-granules qui circulaient brutalement sur ma peau. 
©Gabes Labes 

Fermez les yeux une seconde et imaginez une main qui vous étrangle à longueur de journée. 
Le matin, si vous, vous ouvrez votre fenêtre pour aérer de votre chambre et pour faire rentrer un air pur et oxygéné, à Gabès les habitants ont tendances à se protéger de l’air qui les entoure et à garder le peu d’air déjà existant dans les espaces fermés. 

Malgré tous ces bémols, les habitants étaient accueillants et très chaleureux. Le sourire issu d’un visage triste, dans un corps malade souffrant de la cruauté des injustices sociales.
©WWF / Twilight 


L’action devient urgente aujourd’hui… 
En m’exprimant à travers ce peu de mots, je ne fais que partager une expérience marquante pour moi, qui n’est restée que quelques jours. 
Alors, qu’en est-il pour ceux qui y habitent ? Devraient-ils abandonner leur patrimoine et fuir la ville ? Où iront-ils ? Que feront-ils sans la mer qui les a tant chéris et qui leur a tant donné de ses richesses durant les années qui ont précédé ce crime installé par le gouvernement ? 

Sauvons Gabès parce ce que … Gabès suffoque !
©WWF / Twilight 


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

56. Podcasts you will love

49. Nos fiançailles: tout, lui et moi

55. Retenez bien le nom de Wijden Zammit